A. GRIMALDI propose une Sécu à 100%

Pour une « nouvelle Sécu à 100 % !

jeudi 25 octobre 2018, par André Grimaldi *

Cependant, il serait illusoire de croire qu’il suffirait de revenir au « compromis historique » de 1945 entre, d’une part, le programme du CNR qui aspirait à la santé gratuite pour tous les citoyens et, d’autre part, les intérêts de deux puissants lobbys, la Fédération nationale de la Mutualité (traditionnellement de gauche) et la vieille médecine libérale (traditionnellement de droite). La Mutualité ne se rallia à la Sécu qu’en 1946 en échange de la gestion du « ticket modérateur » de 20 %, d’où résulte la particularité française d’une double gestion des remboursements des prescriptions et des actes de soins. En 1947, la Mutualité faisait adopter une loi interdisant à la Sécurité sociale de créer sa propre assurance complémentaire (à l’exception du régime Alsace Moselle) et autorisant au contraire la gestion par la mutuelle des fonctionnaires et la MGEN de l’assurance maladie obligatoire. La médecine libérale « canal historique », elle, finit par se rallier tardivement à la Sécurité sociale en acceptant le conventionnement dans les années 1970, en échange de la sanctuarisation de ses principes : paiement à l’acte, directement du malade au médecin, et liberté d’installation. Ces deux principes continuent à être défendus avec vigueur, comme on l’a vu lors du front des syndicats de médecins libéraux contre le tiers payant et comme on le voit lors des débats récurrents sur les « déserts médicaux ». En 1980, année où pour la première fois de son histoire la Sécurité sociale assurait le remboursement des soins à 80 %, Raymond Barre, premier ministre, créait le secteur 2 à honoraires libres. Il ne s’agissait pas seulement d’autoriser l’accès à des rémunérations supérieures pour des médecins spécialistes anciens chefs de clinique des hôpitaux, mais plus fondamentalement de créer une « soupape » permettant de limiter les augmentations des tarifs remboursés par la Sécu en secteur 1, notamment pour les médecins généralistes. L’ouverture itérative aux médecins de l’accès au secteur 2 (dont la dernière fois par Marisol Touraine) permit finalement de transférer une partie des coûts des soins de la Sécu aux patients payant les dépassements d’honoraires, pour environ deux milliards d’euros.

En 1945, les dépenses de santé représentaient autour de 2,5 à 3 % du PIB et étaient essentiellement représentées par le versement des indemnités journalières lors des arrêts de travail secondaires à la maladie (aujourd’hui le gouvernement s’inquiète de l’augmentation des arrêts de travail et après avoir pensé un moment taxer le patronat, il se retourne contre les médecins suspects de prescrire des « arrêts de complaisance », oubliant l’épidémie de dépressions qui sévit dans notre pays et que traduit la forte consommation de psychotropes).

À partir des années 1975, avec la fin des Trente Glorieuses, les dépenses de santé stimulées par les progrès médicaux et sociaux se mirent à croître plus vite que la richesse nationale. Il fallût donc réguler. Les gouvernements mirent de plus en plus la main sur la Sécu. Ils pouvaient utiliser deux types de régulation, soit restreindre l’offre publique (numerus clausus, budget global hospitalier, objectif national des dépenses de santé voté chaque année par l’Assemblée nationale, non-remboursement ou moindre remboursement de médicaments d’efficacité faible ou non démontrée…), soit accroître la part du privé (forfait hospitalier, franchises, dépassements d’honoraires, transfert du remboursement des soins courants aux assurances privées dites « complémentaires ». Les trois composantes des complémentaires – mutuelles, instituts de prévoyance et compagnies d’assurances – sont regroupées depuis 2004 dans l’UNOCAM pour faire pendant à l’UNCAM et laisser croire que la solidarité repose sur deux jambes dans le but de faciliter les transferts. La première régulation « publique » fait craindre l’austérité, la seconde « privée » accroît automatiquement les inégalités sociales de santé. Tous les gouvernements de gauche comme de droite ont utilisé les deux modalités de régulation, rendant notre système de plus en plus complexe, devenant illisible pour les ayants droit et générant des coûts de gestion très élevés (15 milliards d’euros). Finalement, il est tout à fait frappant de constater que des pays riches comme les États-Unis, le Royaume-Uni et la France, malgré des systèmes de santé très différents ont une dépense publique de santé rapportée au PIB voisine, autour de 8,5 %. Mais il faut y ajouter la dépense privée (par le biais des assurances privées ou directement de la poche des patients) s’élevant à 8,5 % aux USA, 3 % en France et 0,5 % en Angleterre. Ainsi les dépenses de santé sont de 17 % du PIB aux USA, de 11,5 % en France et de 9 % au Royaume-Uni. Mais, en valeur absolue, c’est-à-dire en dollars par habitant (en parité de pouvoir d’achat) la France est au 14e rang des pays de l’OCDE avec 4 600 dollars par habitant (derrière le Canada, l’Australie, la Belgique, le Danemark, l’Autriche…) contre 5 500 dollars pour l’Allemagne et la Suède, 7 500 pour le Luxembourg, 8 000 pour la Suisse et 10 000 pour les USA. Il est donc faux et purement idéologique de dire que la France dépense beaucoup plus que les autres pays développés surtout quand on vante le modèle assurantiel suisse comme
Madame Verdier-Molinié !

Cela dit, pour maintenir sa mixité originelle, notre système évolue vers à la fois plus d’étatisation et plus de privatisation à l’encontre de l’idée des fondateurs de la Sécurité sociale faisant de la santé un « bien commun » c’est-à-dire un bien partagé, ni étatisable ni privatisable. Un bien commun suppose des ressources propres dédiées, non solubles dans le budget de l’État ou dans le marché et il implique une gestion autonome impliquant les ayants droit. L’étatisation actuelle porte sur la prise en charge des personnes pauvres, le remboursement des soins lourds et sur la gestion du système par les ARS tandis que la privatisation concerne les soins courants, en particulier pour les salariés « en bonne santé », dont le remboursement des frais de santé est assuré de plus en plus par les assurances complémentaires devenues obligatoires depuis l’ANI . On se souvient que le programme santé de François Fillon (soutenu en son temps par les ministres actuels de l’économie et du budget) proposait carrément de transférer complètement la gestion des soins courants (20 à 30 milliards) aux assurances privées (l’UNOCAM)…

Quoi qu’il en soit, on ne peut contourner cette question. La logique voudrait

de mettre fin à la double gestion en séparant ce qui revient à la Sécu et ce qui revient aux mutuelles et compagnies d’assurances, sachant que la Sécu est plus égalitaire, plus solidaire et plus efficiente que les complémentaires.

Pour ce faire, il faudrait donc que la Sécurité sociale rembourse les soins à 100 % et que les complémentaires soient transformées en « supplémentaires ». En effet, les besoins de santé personnellement perçus étant pratiquement illimités (« un état complet de bien-être physique, mental et social » selon l’OMS), il faut indispensablement distinguer le « panier de soins et de prévention » qui relève de la solidarité, des besoins et choix personnels qui n’en relèvent pas (par exemple le refus systématique des médicaments génériques). Selon quels principes ? Relèverait de la solidarité 1) ce dont l’efficacité est prouvée (aussi, l’effet placebo ne serait pas pris en charge) et 2) ce qui est accepté par la société (donc pas un certain nombre de rentes industrielles ou médicales).

L’actualisation de ce panier de soin et de prévention devrait donc faire l’objet d’un débat de « démocratie sanitaire » associant professionnels et usagers diversement représentés, pour être finalement tranchée par la représentation nationale.

Quant à la gestion de cette nouvelle Sécu 100 %, elle devrait se faire par une cogestion entre l’État et les représentants divers des professionnels, des usagers et plus globalement des assurés, en appliquant la règle d’or de l’équilibre des comptes entre les recettes et les dépenses, avec ajustement automatique d’une année sur l’autre. La nouvelle Sécurité sociale serait donc le régulateur unique du système englobant la ville et l’hôpital alors qu’à ce jour l’État régule d’une main de fer l’hôpital, tandis que la Sécurité sociale régule d’une main de velours la médecine de ville, en négociant des compromis avec les syndicats des professionnels libéraux.

C’est ainsi que l’objectif national des dépenses de santé en 2017 n’a été tenu que parce que le dépassement des dépenses de ville de 600 millions d’euros a été compensé par un sous-financement des hôpitaux de 600 millions !

En attendant les jours heureux de cette nouvelle Sécu 100 %, lorsque la Gauche rénovée ne sera plus contre la définition d’un panier de soins et de prévention solidaire et aura coupé ses liens incestueux avec les assurances privées mutualistes, que pourrait-on faire ? On pourrait proposer que les assurés puissent choisir, s’ils le souhaitent, la Sécu comme complémentaire moyennant une cotisation supplémentaire. Cela permettrait plusieurs milliards d’économies de frais de gestion inutiles. Cela est juridiquement possible, puis ce qui est d’ores et déjà le cas pour le Régime Alsace Moselle et pour la CMUc dont 90 % des ayants droit ont choisi la Sécu comme complémentaire santé. Cela devrait être bientôt le cas également pour le million et demi de personnes qui, gagnant entre 734 et 991 euros par mois, ont droit à l’aide à la complémentaire santé (ACS) et auront désormais droit à la CMUc moyennant une petite cotisation mensuelle, si le gouvernement met réellement en application cette mesure prévue dans son plan pauvreté. En attendant la nouvelle Sécu 100 %, réclamons le droit pour tous de choisir la Sécu comme complémentaire : la SECUc.

 

Pour une nouvelle Sécu à 100%

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