la transformation de l’offre de santé et médico-sociale

 

Résumé du thème de la journée d’étude

Initiée à partir de la réduction du coût de la santé, la transformation des soins et l’offre médico-sociale signe un changement de société ainsi que la fin des solidarités collectives et la protection des plus vulnérables. Produits par la pensée néo-libéralisme, ces changements visent à l’abaissement du coût du travail qui va agir sur la reconfiguration du lien social. L’Etat dans sa conception néolibérale se cantonne à ses fonctions régaliennes de maintien de l’ordre et de la cohésion sociale en faisant le choix de la seule conception comportementale de la soumission à visée adaptative.

La discussion se propose d’interroger la place du politique dans la construction du vivre ensemble, de l’avenir pour notre société au regard des choix qui ont été engagés durant une quarantaine années. De quels leviers disposons-nous pour inverser ce modèle de société ? La politique peut-elle aider à reconstruire des liens de solidarité entre les citoyens ? 

 

Développement

Au cours du XXème siècle le secteur médico-social s’est majoritairement construit sous l’impulsion d’initiatives citoyennes de parents qui ont créé diverses associations privées à but non lucratif pour répondre aux besoins des personnes handicapées. L’Etat n’apportait qu’une réponse très insuffisante à la question du handicap.

Après la 2nde guerre mondiale, la création de la sécurité sociale va asseoir notre système de protection sociale et pendant les trente glorieuses les secteurs du social, du médico-social et du soin vont fonctionner de façon harmonieuse se structurant progressivement jusque dans la construction de la professionnalisation des personnels.

A partir des années 1970 la création du service public hospitalier[1], entérine la séparation entre le sanitaire et le médico-social. Les lois de 1975 préciseront institutionnellement le champ du handicap. Les années 80 signent l’entrée dans un processus de rationalisation budgétaire, l’hôpital va être une cible tant conceptuelle qu’économique, pour les parangons du néo-libéralisme s’attaquant à la protection sociale et aux services publics tandis que les secteurs du social et du médico-social vont être sommés de rendre des comptes, les lois[2] de décentralisation mentionnant l’évaluation consécutive à l’octroi de financements.

Le « tournant de la rigueur » sous François Mitterrand consiste à maîtriser les dépenses annuelles de santé par la création de systèmes d’information des données médicales. Progressivement la standardisation des soins conduit à la création d’un coût moyen de revient et de la durée moyenne de séjour permettant vingt deux ans plus tard, en 2005 sous le gouvernement de Jacques Chirac, la tarification à l’activité (T2A) des établissements hospitaliers. La santé va délaisser sa place de « réponse publique aux besoins de la population » pour être une activité économique à part entière. Cette logique, hégémonique à ce jour, s’est déployée indépendamment des alternances politiques durant plus de quarante années.

Une analyse plus fine de cette continuité étonnante fait apparaître, dès 1991, une philosophie des relations en société qui émerge dans une loi[3] qui instaure la carte sanitaire mais ne mentionne déjà plus l’existence du centre hospitalier spécialisé (psychiatrie) qui deviendra un établissement de santé mentale. Fixant le volume de l’offre de soins, cette conception introduit la notion de performance hospitalière. L’Etat planifie en créant les schémas d’organisation sanitaire et sociale (SROSS). Le territoire, entité non définie, prend la place de l’hôpital symbole de la relation directe aux malades. Des agences vont se substituer à des administrations décentralisées de l’Etat dans les départements. L’Agence Régionale de l’Hospitalisation issue de la réforme de l’assurance maladie, dite « Juppé » en 1996, devient Agence Régionale de Santé en 2009 et prend des décisions difficilement contestables par les personnels hospitaliers du fait de leur éloignement tout en répartissant les enveloppes budgétaires.

Concrètement, la notion de budget hospitalier disparaît au profit de l’Etat Prévisionnel des Recettes et des Dépenses (EPRD) : la tarification à l’activité (T2A) de conception libérale se substitue rapidement à la dotation globale qui était établie sur des ratios de lits en rapport à la population donnée. Dans le médico-social, les contrats pluriannuels d’objectifs et de moyens -CPOM- deviennent la norme comptable.

Cette logique économique de baisse des coûts se double d’un changement conceptuel, consacré par différentes lois qui font la part belle à l’individu au « centre du dispositif » ; l’institution est mise à l’index, supposée maltraitante[4].

Dans le même temps une autre agence se crée, la Haute autorité en santé au caractère prétendument scientifique. Sous prétexte d’améliorer la qualité des soins et la sécurité des patients elle produit des valeurs et des normes avec la caution de quelques professionnels de santé. Normes, qui deviendront une obligation lors de l’accréditation des établissements.

Pour réduire le coût de la santé il apparaît nécessaire de réduire le nombre de patients. Ce sera chose faite sous l’impulsion de certaines familles, l’autisme puis le spectre autistique vont être reconnus comme source de handicap. La loi du 11 février 2005 définit ainsi ce dernier : « …constitue un handicap, toute limitation d’activité ou restriction de participation à la vie en société… ».

Le fonctionnement psychique disparaît au profit de l’adaptation sociale. L’approche biologique et adaptative prédomine. A partir de ce moment, les personnes concernées vont être orientées vers les institutions médico-sociales, dans une logique éducative. La loi HPST -hôpital, patient, santé, territoires- supprime en toute logique la prise en compte de la dimension psychologique du sujet, la souffrance psychique est remplacée par le fonctionnement neuro-biologique du patient.

L’Etat contrôle la santé et dicte sa loi : une partie des patients devient par changement de diagnostic personnes handicapées. Dans cette logique le service public réduit ses missions et transfère une partie de son activité au secteur médico-social non lucratif et lucratif.

 

Ce changement s’opère durant la décennie 2010-2020 par trois lois majeures transformant en profondeur l’hôpital public qui affectent l’ensemble des personnels hospitaliers et globalement toute la fonction publique[5]. Cette évolution renvoie à une fonction publique de conception libérale dominée par les relations contractuelles, étroitement associée à l’emploi que l’agent occupe en en définissant exclusivement son rôle. Son activité est principalement appréciée sur la base de sa performance individuelle et de sa soumission.

La nouvelle définition du handicap s’est considérablement élargie depuis l’introduction d’une catégorisation de handicap dite troubles neuro-développementaux (TND), elle-même issue d’une classification internationale[6] d’origine américaine. Sans concertation avec les professionnels ce  terme fait son apparition pour la première fois en 2018 dans un article de la Loi de financement de la sécurité sociale[7], celle-là même qui annonce la fin de l’opposabilité des conventions collectives du secteur privé non lucratif en 2022, quand toutes les associations seront en CPOM.

Aujourd’hui, la confusion règne entre le sanitaire et le médico-social : un service public moribond géré comme une entreprise, a délégué ses missions au privé suivant le principe du moins disant, l’intérêt des populations est supplanté par le profit individuel, bouleversant en profondeur les pratiques professionnelles et interrogeant le sens du travail, tous secteurs confondus.

 

La transformation de l’offre médico-sociale

 

Depuis quelques années, les pouvoirs publics promulguent des lois -de l’égalité des chances- des personnes handicapées 11/02/2005, de l’adaptation de la société au vieillissement de 2016…- censées apporter des réponses aux populations concernées.

Répondant au principe d’une société inclusive, la transformation de l’offre médico-sociale, dont les principales mesures figurent dans la circulaire de la direction générale de la cohésion sociale –DGCS- de 2017, s’inscrit dans cette lignée.

Les grands principes en sont :

  1. Une centration des dispositifs et des prestations sur le parcours de la personne handicapée ou âgée, avec renvoi ou maintien au domicile de cette dernière au nom de l’inclusion, signifiant donc la fermeture progressive des institutions et la transformation des pratiques des professionnels.
  2. Des systèmes d’informations (logiciels ad hoc) permettent les transmissions d’informations et le traçage des prestations proposées par les différents partenaires tout comme l’activité des professionnels, basée sur une tarification à l’activité visible, qu’elle soit à domicile ou en institution,
  3. Serafin –PH système de cotation des actions, devient la modalité tarifaire à partir de 2024, après expérimentation dans un nombre significatif d’établissements médico-sociaux –ESMS- et ajustement du modèle (entre 2021 et 2023), dès que l’offre est visible et quantifiée.
  4. Des modalités spécifiques innovantes -l’habitat inclusif par exemple- peuvent être mises en œuvre dans cette logique d’inclusion. Seules des petites structures mobiles, éphémères pourront être créées pour accueillir les personnes à besoins multiples ou à situations complexes.

Puisque les personnes handicapées –PH- ou personnes âgées –PA- sont renvoyées ou maintenues à domicile pour grande partie d’entre elles ou dans le milieu ordinaire (école, travail…), des solutions vont être apportées aux proches aidants pour leur permettre de souffler ou d’être conseillés si besoin, notamment par les établissements sociaux et médico-sociaux –ESMS- dont l’activité doit être pensée et réorganisée de façon flexible via différentes modalités telles que : des plateformes diagnostic, conseils d’orientation ou de prestations, des accueils séquencés, partiels, des interventions de professionnels dans les lieux de socialisation des personnes ou d’équipes mobiles pour répondre aux urgences…

Enfin des modalités tarifaires spécifiques et d’évaluation ou de contrôle de l’application des normes soutiennent le système via un ensemble de référentiels dans le cadre de la Haute Autorité de Santé.

Les motifs de cette transformation symboliques du changement conceptuel

Dans le discours dominant actuel porté par les pouvoirs publics les institutions médico-sociales actuelles seraient des lieux d’enfermement ou vécues comme telles d’après l’ONU[8], l’UE, ou le gouvernement actuel.

L’intégration dans le milieu ordinaire principe de la société inclusive est une demande des personnes concernées/de leurs familles et de l’application des droits des personnes handicapées et personnes âgées dans tous les domaines du quotidien : école, travail, habitat, domicile…

Or la transformation de l’offre médico-sociale n’est pas pensée comme une alternative mais comme l’unique solution par les pouvoirs publics excluant tout choix de fait de la part des personnes concernées.

Analyse de cette transformation véritable régression sociale 

Cette conception de l’accompagnement des personnes âgées ou handicapées se prétend sans autre alternative. Les parcours sont pilotés par des systèmes d’information censés suivre les prestations : des progiciels dont les erreurs fréquentes ne sont plus à démontrer[9].

Le rapport Piveteau (2014) à la base du système, vante la mise en œuvre d’une solution pour chacun. Mais les solutions pour ces personnes sont loin d’être la panacée : prise en charge partielle dans le cadre des dispositifs qui peut se résumer à quelques heures hebdomadaires, accompagnement au quotidien des adultes vulnérables par leurs proches, retour des mineurs au domicile parental … Le congé financé au SMIC[10] pour les aidants familiaux, a été voté à l’unanimité par les députés de l’assemblée nationale en 2020, est présenté comme une avancée sociale. Cet état de fait ne montre-t-il pas l’absence de réflexion de certains partis politiques sur cette question de la solidarité et de la protection des plus vulnérables qui, de collective jusqu’alors, est renvoyée aujourd’hui aux individus.

L’individu citoyen est sommé d’assurer le travail précédemment effectué par des équipes pluri-professionnelles et la collectivité : de l’enfance à la sénescence (parents et proches devenant des aidants familiaux…).

Pour assurer la cohésion sociale, les pouvoirs publics privilégient les références basées sur la précocité du diagnostic, les neuro-sciences et les réponses adaptatives : en témoigne la transformation des missions des CMPP qui deviennent des plateformes d’accompagnement des troubles neuro-développementaux. En écho à cette décision, les CMPs du secteur sanitaire deviendront des plateformes de diagnostic et d’orientation. La santé se transforme sous l’impulsion du secteur médico-social.

 

Questionnements

Une étude de la DREES souligne les difficultés de socialisation des personnes handicapées et leur isolement[11]. La pandémie a montré les limites des proches aidants qui doivent assumer l’ensemble des tâches du quotidien pour leurs enfants, frères ou sœurs, parents… provoquant usure voire maltraitance dans certaines situations – cette dernière ayant fortement augmenté pendant les confinements en 2020. Ces derniers ont mis en exergue la dégradation de la santé psychique en lien avec la rupture des liens sociaux et la confrontation aux angoisses majeures de notre société.

Quel est le sens du politique du vivre ensemble ? Quelle considération a-t-on des individus ?

Au nom de la lutte contre la radicalisation, de la délinquance, du contrôle de l’immigration puis de la crise sanitaire, depuis le début du XXIème siècle, le contrôle et la surveillance sont à l’œuvre dans le cadre d’un renforcement de la sécurité avec la restriction progressive des libertés publiques.

Les pouvoirs publics afin de se prémunir de la contestation, voire de la révolte, misent-ils sur le renforcement du contrôle et la normalisation des comportements et de la soumission ?

La dégradation des conditions de travail, la baisse continuelle des garanties collectives et les réformes successives des retraites reculant l’âge légal de départ vont accroître immanquablement le risque maladie, voire d’invalidité et au final de dépendance.

Dans ce contexte où les inégalités vont se creuser, la question du lien social et du vivre ensemble interroge la transformation de l’offre médico-sociale et des soins apportés par l’hôpital public dans le cadre du financement par la sécurité sociale et signe la fin de la société solidaire qui obligeait jusqu’alors la collectivité à protéger les plus faibles.

Que voulons-nous en tant que citoyens directement concernés par ces politiques sociales d’abandon des populations ou des individus devenus vulnérables ?

Quels leviers avons-nous pour agir sur notre société du moindre coût, du contrôle et de la surveillance qui ne répondent plus à l’intérêt et aux besoins du peuple ?

 

Christine SOVRANO

Fédération santé / action sociale

CGT

Tél : 06 72 93 56 07

Gilles Métais

Collectif des psychologues UFMICT-CGT

06 28 11 91 90

 

[1]              La loi du 31 décembre 1970 fonde la notion de service public hospitalier

[2]              Lois Deferre de 1982, 1983.

[3]              Loi du 31 juillet 1991

[4]              La loi du 02 janvier2002 reformant les institutions sociales et médico-sociales prévoit un médiateur en cas de conflit avec l’institution.

[5]        LOI n° 2019-828 du 6 août 2019 de transformation de la fonction publique ; LOI n° 2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé et  LOI n° 2019-774 du 24 juillet 2019 relative à l’organisation et à la transformation du système de santé.

[6]     DSM-5 cinquième édition du Manuel diagnostique et statistique des troubles mentaux et des troubles psychiatriques

[7]        Art 62 de la LOI n° 2018-1203 du 22 décembre 2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019

[8]              Cf L’Onu appelle la France à modifier totalement sa conception du handicap, Hospimédia, 24/08/21.

[9]              Cf. Parcours sup et consorts, tout comme la numérisation de l’ensemble des dossiers d’accès aux droits, facteur explicatif pour partie de non recours aux droits.

[10]            Ce congé de 3 mois fractionnable dont la durée peut aller jusque 1 an sur une carrière, a été voté en 2020 et son périmètre a été élargi le 22/10/21, tout comme l’allocation.

[11]            Cf. Comment vivent les personnes handicapées, Les dossiers de la DREES n° 75, février 2021.

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