PRENONS LE TEMPS… …de retrouver le sens de notre travail. Un point spécifique de la tournée des unités de soins : les nouvelles pratiques

Lors de notre récente tournée dans les unités intra-hospitalières adultes entre le 18 février et le 28 mars, un nombre considérable de soignants nous ont fait part de leur souffrance au travail. Nous retiendrons pour cette fois leur consternation et leur dépit face aux nouvelles pratiques de travail : port des blouses blanches obligatoire, bracelets pour les patients en consultation à l’hôpital général, formulaire spécifique pour le suicide, ASH mis au ban des réunions soignantes, thésaurus des cibles,…

Autoritarisme

Ces pratiques sont souvent imposées autoritairement aux soignants, via l’encadrement infirmier : « si ce n’est pas fait, vous serez sanctionnés ! ». Les soignants seraient-ils devenus de simples exécutants, interchangeables d’une personne ou d’une unité à l’autre, et qui ne réfléchissent plus ?

L’expérimentation en cours sur le risque suicidaire confie d’ailleurs au logiciel la réponse à apporter. Les patients sont-ils devenus de simples objets, qu’il faudra d’ailleurs munir d’un bracelet en cas de consultation extérieure, tout comme les marchandises portent des codes-barres ? Tout comme les voitures, passerons-nous tous un jour sous un ban électronique pour détecter et mesurer nos maladies psychiques ?

La psychiatrie se réduirait-elle au modèle de la médecine somatique

…au mépris de son « cœur de métier » ? Serait-elle devenue le simple exercice d’un corps à soigner, à grands coups d’hygiène et de médicaments ? C’est sans doute la raison de la nouvelle obligation de porter toute la tunique blanche, malgré les recommandations des formations à la Réh@b et à la psychothérapie institutionnelle.

Et pourtant, même si l’hygiène la rend parfois nécessaire, la blouse blanche n’est pas synonyme d’identité professionnelle en psychiatrie, qui requiert surtout d’aller à la rencontre des patients en faisant « tomber la blouse ».

Le « thésaurus des cibles » soulève de fortes résistances

Particulièrement au sein de la pédopsychiatrie et de l’extrahospitalier. Pourquoi ?

Faute d’avoir le temps de se rencontrer et d’échanger, et afin que tout soit traçable, les soignants mentionnent depuis longtemps leurs observations sur des logiciels. Mais ces observations innombrables ne sont pas lues par tous. Il fallait donc une méthode pour les organiser. Les cibles reprennent le modèle somatique : les symptômes sont ainsi isolés et décontextualisés, suivant le principe de « toute problématique a une cible ». Certes, cela permet parfois de rassembler des informations spécifiques (bonne ou mauvaise nuitée,…), mais on met ainsi l’accent sur les problèmes du patient et on ne donne pas de sens à ses comportements, morcelés comme sa symptomatologie. En outre, il est assez fastidieux d’ouvrir et de fermer sans cesse plusieurs cibles du thesaurus.

Les soignants veulent conserver des observations ouvertes.

Ce thésaurus serait une obligation légale et imposé à ce titre ?

Quantifier et normaliser le soin en psychiatrie

Puisque prime la gestion comptable des soins, il faut les quantifier. File active et nombre d’actes conditionneront le budget de l’établissement. La grille EDGAR qualifie depuis plusieurs années les actes en CMP.

Mais bien sûr, le travail informel des soignants ne rentre pas dans la grille : réunions cliniques, relèves, contacts avec des partenaires, reprises d’activité ou supervisions,…

Et pourtant, des infirmiers-chercheurs proches de nous, à Lyon, Jean-Paul LANQUETIN et Sophie TUCHKRIEL ont scientifiquement mis en évidence les fonctions spécifiques du travail informel en psychiatrie, qui pourraient servir de base à une réelle pratique avancée (voir notre site internet, onglet Réfléchir).

   Au lieu d’assurer une formation initiale correcte aux infirmiers en psychiatrie (IDE + 1 an), le gouvernement préfère laisser les établissements mettre en place des formations complémentaires (tutorat, consolidation des savoirs en psychiatrie,…) sur le compte de la formation continue à laquelle cotisent tous les agents. Il préfère aussi former 1 infirmier en pratique avancée pour encadrer 1.000 infirmiers (taux national). La pratique sera ainsi normalisée et surtout peu coûteuse.

Pour supprimer la subjectivité des soignants, du médecin à l’aide-soignant, et les rendre « efficients », il convient de les plier aux « bonnes pratiques » de la Haute Autorité de Santé dont ils deviendront les exécutants, techniciens dépourvus de toute créativité.

Certes, ce ne sont que des recommandations, non opposables aux yeux de la loi, mais les « visiteurs » les vérifieront lors de la certification de l’établissement, tous les 4 ans, qui conditionnera à son tour le budget de l’établissement. Citons A. BUZYN : « nous avons quasiment fait fermer 2 établissements non certifiés, car ils ont des pratiques non recommandées ».

Au total, il s’agit bien de maîtriser la réflexion et le temps, que nous avons tant besoin de prendre dans notre « cœur de métier », pour prendre soin des patients, pour tisser un lien avec eux, pour qu’ils s’apaisent avant de (re)partir dans la « vraie vie ».

L’équipe pluridisciplinaire semble devenue un vain mot

Elle éclate sous les coups de butoir de ces méthodes.

    Les ASH, bien qu’eux aussi tenus au secret professionnel, sont désormais systématiquement exclus des relèves, dans les unités où ils y participaient, même quand ils nourrissent les patients, qui participent souvent aux tâches ménagères et leur confient souvent bien des choses que les soignants ignorent. Dorénavant, le savoir des ASH est perdu et leur formation sur la clinique, inutile ; ramenés à leurs tâches ménagères, ils perdent confiance et se sentent autant exclus que dévalorisés. Assistantes sociales et psychologues doivent-ils suivre le même chemin ?

Et pourtant, l’arrêté du 25/11/2016 inclut dans l’équipe soignante « les professionnels qui participent à la thérapie, à la compensation du handicap et à la prévention de la perte d’autonomie ». Et, « elle n’implique pas une modification des pratiques professionnelles. Elle a vocation à être suffisamment souple pour permettre l’échange et le partage des données…. entre des professionnels…..ne relevant pas uniquement du secteur sanitaire ».

Chaque métier fait bande à part. Le clivage, symptôme psychotique par excellence, se met en place. Les infirmiers, encadrés par un infirmier en pratiques avancées, réfléchissent seuls, entre eux, sur leur travail, devenu leur « rôle propre », dans une posture identitaire. Bien sûr, il est légitime qu’ils confortent et améliorent leur pratique, tant qu’elle s’accompagne de réunions cliniques de l’ensemble de l’équipe soignante, médecins, travailleurs sociaux, psychologues, aides-soignants, ASH, mais aussi les professionnels des médiations et les partenaires (tuteurs,…).

Hélas, le manque de temps médical a raréfié les réunions cliniques, remplacées au mieux par les BIP (bilans initiaux partagés), qui ne tiennent compte, ni de l’anamnèse, ni des désirs du patient, conscients ou inconscients (ce qui n’est pas le cas d’ELADEB, questionnaire qui ouvre à un dialogue avec le patient).

Les soignants, tous métiers confondus, veulent travailler ensemble à la santé des patients.

Réhabiliter ou soigner ?

   La Reh@b est devenue le mot d’ordre de nos missions. Issue de méthodes cognitivistes, comportementalistes et neurologiques, elle vient à point quand le gouvernement veut réduire le nombre et la durée des hospitalisations, trop coûteuses. Elle entend surtout reloger le patient hors de l’hôpital.

Et pourquoi pas ? L’ouverture des hôpitaux psychiatriques sur l’extérieur date de l’après-guerre ; les CMPs ont été créés à la fin des années 60, il y a un ½ siècle. Depuis cette époque, la pratique soignante a toujours mêlé psychothérapeutique et psycho(ré)éducatif. Les soignants prenaient soin des patients et les accompagnaient « sur le secteur », chez eux, ou ailleurs, et ceci en continuité entre l’intra et l’extrahospitalier, avant la création de nos pôles. Les multiples médiations thérapeutiques, hors ou dans (UISAM) l’hôpital, ont fait leurs preuves depuis longtemps.

Aujourd’hui cependant, austérité budgétaire aidant, la réhabilitation prend le pas sur le thérapeutique; l’ARS finance d’ailleurs spécifiquement ces actions.

Et pourtant, la Réh@b elle-même mentionne la nécessité des psychothérapies. Elle s’adresse à une frange de nos patients, bien profilés et surtout demandeurs, pas à tous. Certaines unités de ce type ont déjà fermé en France.

Des notions périmées ?

La psychiatrie se dénature. Toute une culture soignante disparaît en commençant par des mots simples : accueil, rencontre, échange, clinique, souffrance, angoisse, psychothérapie institutionnelle,…

Pour paraphraser M. BELLLAHSEN, nous revendiquons :

  • Le temps… de travailler, de bien travailler, de soigner et de prendre soin, des patients, des soignants et de l’institution
  • Le sens des soins psychiques : pour les problèmes humains, il faut d’abord et avant tout des humains à qui parler et pas uniquement des techniques
  • L’imagination et la créativité nécessaires qu’il faut mobiliser dans les métiers s’occupant des humains et dans les réunions cliniques pluridisciplinaires
  • Les moyens nécessaires pour que la relation humaine soit ce qui compte le plus dans les soins

 

   Il ne s’agit pas de combattre tout changement, mais la psychiatrie est une vaste discipline, qui emprunte à beaucoup d’autres. Allons-nous continuer à subir la logique de ces nouvelles méthodes sans aucun regard critique ? Allons-nous courir après les financements spécifiques voulus par l’ARS sans adapter et infléchir ces outils dans le sens de notre culture psychiatrique ?

   Nous en appelons à la réflexion critique de tous ceux qui concourent au soin, avant toute mise en oeuvre de ces nouvelles pratiques

 

   Ces méthodes doivent être réfléchies collectivement par les praticiens de terrain et adaptées à leur pratique et surtout, aux patients.

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