rapport LAFORCADE sur la santé mentale

Le rapport LAFORCADE
A l’antithèse de la clinique, des besoins et de l’humanisme
Une vision politique austéritaire, autoritaire, bureaucratique et gestionnaire de la maladie mentale

Ce rapport prétend s’inscrire dans la suite légitime des rapports précédents, tel que le rapport DEMAY en 1983, progressiste, qui défendait le secteur, mais en le dénaturant. Le secteur, qui, à l’inverse de l’asile, devait constituer la base des soins, au plus près du lieu de vie du patient, en partant de l’ambulatoire, n’est plus qu’une étape du « parcours de soins », par « filières » sur un « territoire », dont on constate quotidiennement qu’il s’élargit par la concentration des lieux de soins sur les grosses agglomérations, délaissant de réels territoires entiers. Le soin psychiatrique s’éloigne de plus en plus du lieu de vie du patient.
  Le concept de santé mentale, clef historique de la sortie de l’asile, devient un outil de contrôle social aux mains des politiques, dans lequel la psychiatrie et, avec elle, la clinique humaniste est engloutie.

Un rapport volontariste, irréaliste et austéritaire

Se plaçant d’emblée dans une dimension budgétaire d’austérité (mais pourtant pas pour tous !), le rapporteur constate le manque dramatique de moyens tout en excluant d’emblée tout moyen nouveau. 
  Pour ce faire, les prises en charge complexes et longues, fréquentes en psychiatrie, seront transférées au social et au médico-social. De patients à soigner, les malades deviennent des handicapés et des résidents à héberger, assister et insérer. Les soins légers mettront à contribution les praticiens libéraux (médecins, psychologues, orthophonistes, etc…) qu’il suffirait de coordonner. Les soins se morcellent, comme le psychisme des psychotiques. L’équipe pluridisciplinaire qui se coordonnait « naturellement », puisque travaillant sous le même toit, s’éclate au profit de libéraux. Du transfert, de la nécessité d’établir une relation de confiance suffisamment continue, stable et sécurisante avec le patient, il n’est plus question. Les soignants sont invités à plus de « mobilité » à contre-courant de la stabilité et de la reconnaissance minimales nécessaires à l’investissement du personnel, à la mise en place d’une relation sécure avec le patient, à la constitution d’une équipe fonctionnelle et à l’instauration d’un réseau de partenaires. Sans parler de la précarité réelle croissante du personnel sur le terrain, que la loi AGENT NON TITULAIRE (ANT) n’arrive pas à résorber, malgré la volonté officiellement affirmée du gouvernement de conforter le statut de fonctionnaire. C’est le retour du taylorisme appliqué aux humains : chacun sa tâche et son protocole prescrits ; l’informatique coordonnera le tout… au moins dans les rapports officiels.
  L’hôpital coûte cher. Il conviendra donc de supprimer les hôpitaux de jour au profit des CATTP. Les soins perdent ainsi le minimum de densité nécessaire à leur efficacité thérapeutique, tout comme ils perdent la durée nécessaire (parfois à vie) à la psychopathologie des patients. Pour continuer à réduire les lits, trop onéreux, il conviendra de maintenir les malades dans leur famille, à domicile, vieil argument pseudo-humaniste souvent générateur de souffrance familiale. La réclusion asilaire se transforme en assignation à résidence, sur le modèle des condamnations judiciaires qui évoluent de l’incarcération aux bracelets électroniques, et des soins sous contrainte, étendus aux soins ambulatoires. La violence asilaire se déplacera donc au sein-même des familles. L’antipsychiatrie des années 60-70 qui dénonçait l’aliénation et la répression sociale faite au malade parle savoir médical d’alors, se retourne en une antipsychiatrie actuelle qui affirme réduire la maladie mentale à une maladie purement somatique, neurologique et/ou génétique.
  Patients et professionnels sont devenus des marchandises. Aux premiers, on servira un « panier de soins » ; les seconds seront désormais interchangeables, « mobiles », évalués individuellement, appliquant des protocoles prédéfinis.
  Comme les budgets sont restreints, mais la tâche immense, il ne reste plus qu’à faire appel à la bonne volonté des professionnels, déjà bien démotivés par la perte de sens de leur travail.

La fin de la clinique : une véritable déculturation

La maladie mentale n’est plus qu’un handicap, qu’il ne s’agit plus de soigner, mais de gérer. Soigner coûte trop cher, gérer et normaliser est moins onéreux.
  A cet effet, les techniques de psychoéducation (« éducation thérapeutique ») et de réhabilitation (comme pour un logement) deviennent des buts en soi, au lieu de constituer des moyens supplémentaires aux côtés des méthodes cliniques (donc individualisées) qu’elles pourraient venir compléter. Ces instruments protocolisés et standardisés ne nécessitent plus d’instaurer une relation personnelle et ouverte au psychisme spécifique de chaque patient ; ses techniciens, devenus psycho-éducateurs et non plus psycho-thérapeutes, deviennent interchangeables. Leur but est la normalisation plus que le soin. Désormais, il n’est plus question d’une approche globale, travaillant sur les causes de la souffrance psychique, mais d’abraser des symptômes à éradiquer. Ces approches neurologiques, comportementalistes et cognitivistes prennent une place totalitaire dans les formations. 
  Il n’est plus nécessaire de faire appel à la créativité, l’initiative, l’expérience des plus anciens, puisque ces techniques sont validées par des « experts », nommés par la HAS, au nom d’une médecine qui serait « validée par des preuves ». Mais d’où viennent ces experts, qui les mandatent ? Comment font-ils autorité ? La HAS est pilotée par 8 personnes, 6 professeurs de médecine et 2 administrateurs des soins, nommés par les politiques : le Président de la République, le Parlement, le Sénat et le Conseil Economique et Social. C’en est fini du consensus professionnel de jadis qui rassemblait les praticiens. Il s’agit bien d’une remise en question politique des pratiques, fruit de lobbies universitaires, pharmaceutiques, qui imposent leurs normes à leur avantage, comme le montrent les contrôles maintenant diligentés par la HAS dans les services de pédopsychiatrie pour qu’ils n’appliquent pas le packing.
  Tandis que le soignant applique méthodes et protocole, le médecin lui-même se prolétarise ; l’art médical ou paramédical disparaît. L’autorité des chefs de pôle n’est plus de fait médical, clinique, mais devient purement économique et gestionnaire. 
  La « culture de la preuve » remplace celle de « l’opinion », nous dit LAFORCADE. Les argumentaires scientifique et gestionnaire ne se différencient plus.
  Une vision technocratique, bureaucratique et autoritaire
  Penseurs/décideurs d’en haut se déconnectent des acteurs d’en bas, aliénant et falsifiant le vécu des praticiens de terrain, tout comme M. TOURAINE peut affirmer avoir sauvé la Sécu sans « le faire payer aux patients » ni « aux professionnels de santé », à l’envers de l’expérience que chaque patient ou professionnel en fait quotidiennement.
  L’ARS évaluera… non plus les besoins, mais les objectifs définis d’en haut, par des bureaucrates qui peuvent se payer des services sanitaires privés… et coûteux, ou bénéficier d’une offre de services plus abondante dans les grandes villes. Pour éclater les collectifs de soins comme l’équipe pluridisciplinaire, chaque soignant sera évalué individuellement, intériorisant la pression au rendement… quantitatif, puisque le soin se chiffre et se budgétise par certains « actes », qui ne répertorient aucunement les temps « morts », de relève, de synthèse, de coups de téléphone aux partenaires, tout ce qui humanise et fluidifie le travail réel. Ces « actes » mesurent du temps soignant, mais certes pas l’efficacité thérapeutique. Les ARS préparent déjà de nouveaux « indicateurs » économiques comptables, du type 1 acte EDGAR = 0,35 Hôpital Complet.
  Et pour s’assurer que cette politique déshumanisante s’appliquera, l’ARS verra ses moyens de pression encore accrus, via l’octroi ou non des budgets, suscitant à un train d’enfer réunion sur réunion, que même des directeurs et des présidents de CME, excédés, finissent par déserter.
  LAFORCADE évoque la « démocratie sanitaire », en façade. Elle consiste à faire théoriquement plus de place aux usagers (en réalité, à leurs proches principalement), mais les représentants du personnel ne sont même plus consultés. 

Le poids de la hiérarchie et la réduction de la marge d’autonomie de chacun, de l’ASH jusqu’au directeur, ne font que s’accentuer, accroissant les tensions et attisant le repli individualiste, au détriment d’une mentalité de service public.

 Quel avenir pour la psychiatrie ?

  La CGT demande une grande loi d’orientation pour la psychiatrie, mais pour LAFORCADE, une circulaire pourrait suffire… 
  Et pourtant ?
  Pourquoi ne pas reconnaître la spécificité de la psychiatrie et mettre en place une formation spécialisée pour les infirmiers ?
  Pourquoi ne pas débloquer le numérus clausus médical, instaurer un statut de titulaire unique, développer le salariat médical (et non le paiement à l’acte) et mettre en place le plateau technique hospitalier nécessaire à chaque territoire ?
  Pourquoi ne pas valoriser nos pratiques cliniques, qui ne nous empêchent aucunement de travailler en bonne intelligence avec les secteurs social et médico-social ? Et sont vecteur de sens et de cohésion.
  Pourquoi ne pas développer un service public de qualité, humaniste, accessible à tous, sur tout le territoire national ?
  Pourquoi ne pas évaluer le fonctionnement institutionnel plutôt que les individus, les besoins et les moyens plutôt que les résultats ?
  Pourquoi pas une réelle politique de santé publique ?
 Commission Nationale de Psychiatrie, CGT-santé, février 2017

http://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/dgos_rapport_laforcade_mission_sante_mentale_011016.pdf

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